Comme on exorcise un souvenir, ou comme l'on tente de se remémorer un rêve oublié, Yann Quéfelec livre une part de son enfance,à une époque où son existence se partage entre un père continuellement absent, une soeur aveugle à laquelle il offre ses yeux, et sa mère. La première femme parmi toutes celles qu'il raconte, qu'il connait si bien... et qu'il ne voulait pas voir. Ma Première femme est le récit émouvant d'un adolescent confus, égaré dans les relations familiales.
Le miroir triche, la photo ment, l'oeil refuse, alors quoi ? Rassurez-vous, j'ai Cathy, ma petite soeur l'aveugle, et j'ai beau la charrier, la traiter de miro, lui faire des croche-pattes en rigolant, pour la voir s'étaler dans une flaque d'eau, je n'ai d'autre miroir au monde que son bel oeil vide de toute lumière, et aussi sa voix qui n'est jamais si jolie, si mélodieuse, que lorsqu'elle ne chante pas. Et si je suis beau pour Cathy je le suis pour vous, pour moi, d'accord ? Vous n'allez tout de même pas contredire une aveugle ? J'en fais juste assez pour lui donner raison et ça me fâcherait qu'une pensée négative émousse au passage la préférence passionnée qu'elle me voue. Je la paie de retour, bien sûr, entre frère et soeur on n'a rien sans rien. Elle est mon miroir et je me fous bien qu'il ne contienne pas mon visage : il me contient moi tout entier, ça j'en suis sûr, j'en mettrais ma main au feu, je ne perds pas au change en étant sa rétine, elle est jolie grâce à moi, elle rougit grâce à moi, elle va dans les rues en confiance et traverse aveuglément cette jungle où des regards la frôlent, où le bruissement la guide, où la rencontre naît ç la pointe d'une étincelle attrapée dans l'oeil d'un inconnu sur le trottoir. J'ai l'impression de pousser un île à travers la mer en évitant les rochers, elle est sans regard, je suis là pour nous deux : là... Où es-tu, Cathy, toi que l'horizon n'entoure pas ? Deux yeux. Petite fille, elle trouvait ça bien riquiqui, des yeux, pour ouvrir en grand l'univers, jusqu'aux étoiles et jusqu'au creux des océans. (...) Deux yeux pour le ciel, deux yeux pour la mer, pour la rue, pour se retrouver dans la maison, pour aimer, pour se méfier, pour être beau.